Aujourd’hui, 3e journée de Championnat de France Handivalide Double, le vent n’étant jamais rentré dans la baie de Sciez, aucune course n’a pu être lancée. Nous en avons profité pour rencontrer des pratiquants déficients visuels qui nous ont expliqué les bienfaits du cécivoile. En effet, la vue n'est pas le seul sens mobilisé lorsqu'on pratique la voile. Beaucoup de marins la considèrent même comme secondaire.
Un sport très adapté à ce handicap
Les sons que produit le bateau, les vibrations de la coque face aux vagues, l'orientation du vent que l'on sent sur son visage ou ses oreilles, voilà des exemples d'informations et de sensations qui permettent aux personnes déficientes visuelles de naviguer et de prendre du plaisir sur l'eau. « Je navigue depuis 2017 à Lyon et sur le Lac Léman, j’ai découvert la voile grâce à Olivier Ducruix et l’UNADEV, qui m’ont proposé de découvrir la voile. » nous explique Fabienne Rassat. « Pour moi c’est un rêve de petite fille donc j’ai sauté sur l’occasion et je ne regrette pas du tout, c’est que du bonheur ! C’est vraiment le sport le plus adapté à la déficience visuelle pour plusieurs raisons. D’abord le voilier marche grâce aux éléments naturels et pour prendre nos repères on n’a pas d’intervention moteur, on se fie au vent essentiellement donc c’est les sensations sur le visage, les sensations de gite sur le corps. On entend aussi le bruit de l’eau avec le sillage du bateau. Tout ça nous permet de savoir si on a de la vitesse suffisante, si on est bien réglé. Donc c’est vraiment un outil qui nous permet de mener notre barque naturellement. »
Suivant les envies et les capacités de chacun, il est possible de naviguer en équipage avec des personnes voyantes. Chaque équipage va avoir ses méthodes de communication et d’organisation sur l’eau. Je pratique le Hansa, nous sommes deux personnes, une valide et une déficiente visuelle. Je gère les voile et Géraldine ma coéquipière gère la barre. » continue Fabienne Rassat. « Je fais d’abord mon préréglage, si ça lui convient, elle ne dit rien et si ça ne convient pas, Géraldine va me dire +1 pour border un peu plus ma voile ou -1 pour choquer. On met donc en place des moyens de discussion pour faire marcher le bateau. A côté de ça je m’entraine aussi toutes les semaines avec un coach qui nous apprend à faire des bons réglages et à barrer. »
Des outils pour une plus grande autonomie
Grâce à certains outils, on peut aussi naviguer avec un grand degré d'autonomie. Parmi ces outils, on retrouve par exemple la rose des vents et les cartes en relief qui permettent aux personnes de mieux se repérer et de régler son bateau par rapport à la direction du vent. Il existe aussi des penons connectés. Placés sur la voile, ils vous indiquent si votre voile est bien réglée. De même pour connaitre la direction exacte du vent, il existe des girouettes intégrées au casque et des ceintures connectées qui vibrent du côté d'où le vent provient. Et puis, pour parvenir à une autonomie quasi-totale, il existe l'application SARA.
Certaines régates se font également sans aucune personne voyante grâce à des bouées sonores. « On navigue en Match Racing avec seulement des personnes déficientes visuelles et grâce à différentes techniques, avec des bouées et des bateaux qui émettent un son, cela marche très bien. On prend nos propres décisions et sans avoir de personnes valides à bord. » explique Gilles Brunet, pratiquant à la Base Nautique de Sciez.
Le Dombay, un habitable adapté et performant
Parmi les petits dériveurs de ce Championnat de France, le bateau Comité est lui aussi un bateau adapté. Il appartient à l’Association Dombay, qui organise des sorties de voile pour accompagner des stagiaires déficients visuels. En 2016, elle fait l’acquisition de ce voilier, un Sprint 95 équipé tout spécialement pour la pratique de la voile aux non-voyants et malvoyants. Les membres de l’association l’ont sécurisé en effectuant divers travaux sur le gréement pour le simplifier et le sécuriser, grâce à la marraine du bateau, Soledad. « Elle nous aide pour toutes les adaptations que nous apportons au bateau. » explique Marine Clogenson. « Il est maintenant fait pour que ce soit facile pour les déficients visuels. La bôme était très basse donc on l’a relevée, on a aussi mis des étiquettes en braille sur les taquets. On a placé des penons électroniques sur le génois pour qu’ils aient les infos de réglage de la voile. Donc là on arrive sur de la performance, ce n’est pas forcément utile pour une pratique loisir. »
Et Soledad Redondo, la marraine du voilier répond : « Toutes ces adaptations m’ont permis de naviguer sur ce bateau. Et grâce à une application qui s’appelle SARA, le skipper a cette application sur son portable, et ce qui s’affiche en visuel sur notre GPS, est retranscrit vocalement. Ce qui nous permet de participer à la direction du bateau, de skipper et de tenir la barre. » L’autonomie est donc au cœur du développement de cette pratique qui évolue chaque jour grâce à un travail commun des acteurs de la voile et des pratiquants.
Une sensation de liberté
« Ce que j’ai découvert sur un bateau c’est la liberté, on a des moyens qui nous permettent d’être autonome parce que quand on perd la vue, on perd notre autonomie. » développe Fabienne Rassat « Donc par exemple je n’ai jamais pu conduire, faire du vélo est très difficile et le fait de monter sur un bateau et d’aller d’un point A à un point B presque tout seul, et c’est génial. C’est une sensation qui amène plein de bonheur, qui nous redonne confiance. Moi j’ai repris confiance sur un bateau parce que je l’avais perdu complètement et la voile m’a beaucoup aidée. Et j’ai redécouvert tout un monde, des gens qui sont compréhensifs, qui nous laissent prendre du plaisir, qui comprennent ce qu’on vit et dans notre société actuelle, c’est très compliqué et là je me sens protégée et plus à l’aise grâce à toutes les personnes qui nous permettent de naviguer. »